Cédille sur les nuages

Oeil curieux et monde sensible

L’inquiétante étrangeté

11 janvier 2015 | By Cédille

pinpon36

J’ai eu l’impression d’avoir été emportée par un torrent, un torrent bruyant, rempli de sirènes et de cris stridents incessants.

Paris 11ème, janvier 2015, capitale de la douleur.

Mercredi, je sortais de chez O. vers 11H45, les yeux encore rouges et humides, parce que c’est ainsi que les choses se passent et doivent se passer. J’ai croisé, rue du Chemin vert, une voiture de police sirène hurlante, dévalant le bitume en direction de Richard Lenoir. Encore un accident me dis-je, la rue du Chemin vert est un théâtre, plus que tout. Chez moi, j’ai d’abord cru à un article du Gorafi. Non, vraiment? Il y a eu une sirène, puis une deuxième, puis une troisième, puis une quatrième, puis j’ai arrêté de les compter, elles n’ont toujours pas cessé depuis. Pin pon pin pon pin pon, litanie stridente. Des gens sont morts pour la liberté d’expression juste à côté de chez moi. C’est horrible. C’est dramatique. Pin pon pin pon, et les sirènes qui ne s’arrêtent plus.

Plus tard, dans la soirée, sur mon chemin entre Bastille et République, je suis passée devant le lieu du drame. Nous avons compté le nombre de camionnettes de presse agglutinées sur les côtés du boulevard. Un côté Night Call qui me laissa fort songeuse. Des présentateurs tout autant agglutinés que leurs camionnettes présentaient des éditionspéciale-live-prioritéaudirect-spécialattentat-parisonfire avec cet air grave pour des chaines de télé du monde entier suivies par des curieux du monde entier. Partout des cordons de sécurité, des policiers, et quelques fleurs, déjà. Un peu plus loin, du sable sur les pavés gris du trottoir boulevard Richard Lenoir, ce trottoir, mon trottoir, dans cette vidéo immonde, un homme à terre, et du sable qui met en exergue plus qu’il ne camoufle. Il y a quelque chose de surréaliste dans cet évènement, dans ces faits si graves, si durs, si violents, confrontés à la banalité de ce boulevard qui fait partie mon décor quotidien. Freud parle d’inquiétante étrangeté me soufflera t’on, oui, voilà, c’est cela que je ressens, de l’inquiétante étrangeté, comme si une chose pareille ne pouvait pas arriver, pas ici, pas comme ça, pas pour ça. Je ne réalise pas.

La Place de la République était silencieuse et impressionnante ce soir là, d’un extrême à un autre, il s’en dégageait un élan d’amour si spontané, si simple, si humble et c’était beau. C’était beau de voir tous ces gens ensemble. C’était beau, touchant et nécessaire. Et j’ai eu un frisson. L’humanité n’est pas perdue.

iphone_janv3

Depuis nous avons parlé, beaucoup, nous nous interrogeons et je m’interroge. Que dire? Que faire? Que penser? Sommes-nous légitime dans notre façon de nous exprimer? Certaines réactions ne sont-elles pas déplacées? Faut-il suivre le mouvement sans se poser de questions? N’en fait-on pas trop? Comment ne pas être dans l’émotion? Nous sommes humains après tout. Nous sommes bien d’accord que ce qui vient de se passer est terrifiant et profondément injuste, mais ne sommes nous pas ce peuple d’endormis qui soudain se réveille et se sent investi d’une révolte certainement salutaire mais quelque peu hypocrite? Qui soutenait Charlie avant? Qui s’indignait avant? Il y a tellement de sujets sur lesquels se révolter. Et puis eux, que diraient-ils de tout ce remue ménage, de tout cet amour qui dégouline de partout? Que diraient-ils de la marche de demain? De tous ces politiques qui y participent? Des « je suis charlie » affichés sur la bourse de New York?

J’ai l’impression qu’on a foutu un coup de pied dans une fourmilière qui laisse soudain s’échapper mille questions, documents, textes, films, images, idées, rancoeurs, idéaux, bêtises… ça part dans tous les sens.

Je suis curieuse. J’ai envie de savoir. J’ai envie de comprendre. J’ai envie de savoir ce que pensent les gens autour de moi, parce que moi je ne sais pas, je ne sais plus.

Je sais juste que je suis indignée, révoltée, attristée et désolée. Je sais juste que je suis profondément humaniste et tolérante, et par dessus tout, pour la liberté. ( Mais dans le fond, avouons le malgré mes beaux idéaux, je suis une putain de planquée. )

2 thoughts on “L’inquiétante étrangeté”

  1. Kalembredaine says:
    12 janvier 2015 at 16 h 06 min

    Un des textes les plus justes qui m’est été donné de lire sur ces « événements ».

    Moi non plus, je ne sais pas que faire, que dire, que penser…
    Moi aussi, je suis indignée, révoltée, attristée, désolée… et planquée.
    Moi aussi, je trouve un peu d’hypocrisie dans toutes ces réactions « spontanées ».
    Moi aussi, j’ai envie d’y voir une lueur d’espoir.

    J’aimerais comprendre, savoir ce qui se profile.
    Il faut laisser la réflexion prendre le pas sur l’émotion.
    Seul l’avenir nous dira ce qu’il adviendra « après ça ».

  2. Farfalle says:
    15 janvier 2015 at 21 h 22 min

    Ils sont nombreux il me semble « les planqués », ceux qui se laissent happer par leur quotidien, leurs soucis mineurs mais pas toujours si mineurs, ceux qui ne sont pas « engagés ». Il me semble que ce n’est pas donné à tout le monde d’être « engagé », il me semble que ce n’est pas une raison pour ne pas reconnaître et accueillir les émotions spontanées, y croire parce-que justement c’est un tel choc et que les prises de conscience sont nombreuses. Cet événement me questionne dans mon rôle de citoyen mais aussi de professeur et de parent, cet événement me donne envie de changer et peut-être, de moins me « planquer » ! En tout cas d’agir sur ce sur quoi j’ai prise au quotidien, parler à mes élèves, parler à mes enfants. Et puis, des Charlie, il n’y en a, somme toute, pas eu tant que ça, nous sommes 64 millions de français, moins de 10% de la population a défilé, nous avons tout intérêt à être vigilants et à nous exprimer.

Laisser un commentaire Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *





Fatal error: Uncaught Error: Call to undefined function ereg_replace() in /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-content/plugins/alpine-photo-tile-for-instagram/gears/alpinebot-tertiary.php:58 Stack trace: #0 /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-content/plugins/alpine-photo-tile-for-instagram/gears/alpinebot-tertiary.php(92): PhotoTileForInstagramBot->key_maker(Array) #1 /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-content/plugins/alpine-photo-tile-for-instagram/gears/plugin-widget.php(32): PhotoTileForInstagramBot->photo_retrieval() #2 /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-includes/class-wp-widget.php(372): Alpine_PhotoTile_for_Instagram->widget(Array, Array) #3 /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-includes/widgets.php(743): WP_Widget->display_callback(Array, Array) #4 /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-content/themes/pachyderm/sidebar.php(11): dynamic_sidebar('primary-sidebar') #5 /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-includes/template.php(688): require_once('/homepages/16/d...') #6 /homepages/16/d257766863/h in /homepages/16/d257766863/htdocs/blog/wp-content/plugins/alpine-photo-tile-for-instagram/gears/alpinebot-tertiary.php on line 58